Newsletter n° 38 – Mars 2024 - Jurisprudences : l’Insécurité juridique liée à l’acquisition des congés payés pendant les arrêts maladie

Pour rappel, par deux décisions du 13 septembre 2023, la Cour de cassation inspirée par la jurisprudence européenne avait jugé que les salariés continuaient à cumuler les droits à congés payés pendant leur arrêt de travail, mais aussi que cette acquisition n’était plus limitée seulement à la première année de travail en cas de maladie professionnelle ou d’accident du travail.
Néanmoins, dans une décision plus récente le Conseil constitutionnel avait déclaré conforme à la Constitution les modes d’acquisition de congés payés selon le Code du travail français. La jurisprudence européenne sur le sujet restant néanmoins en vigueur rendait non conforme ce droit français, et créait ainsi une période d’insécurité juridique. Il devenait urgent que le législateur intervienne.

Il a fallu que le Conseil d’Etat, par un avis adopté dans leurs séances des jeudi 7 et lundi 11 mars 2024, nous oriente, par ses propositions, sur le projet d’amendement envisagé.

I-        La décision constitutionnelle

Dans sa décision du 8 février 2024, le Conseil constitutionnel a répondu à deux QPC (question prioritaire de constitutionnalité : un moyen pour un justiciable de saisir le conseil constitutionnel pour un contrôle de constitutionnalité). (C. constit., décision 2023-1079 QPC du 8 février 2024)

Dans la première, la question était de savoir si le fait de priver un salarié du droit à l’acquisition de congés payés pour une maladie non professionnelle, et au-delà d’un an pour les accidents de travail ou les maladies professionnelles, était conforme avec le droit à la santé et au repos garantis par le préambule de 1946. Le Conseil constitutionnel a considéré, qu’au regard des objectifs du législateur en 1946, ces dispositions, pourtant contestées, n’étaient pas inconstitutionnelles.

La deuxième question portait sur la différence de régime d’acquisition des congés selon la nature de l’arrêt de travail, professionnel et non professionnel, et sa conformité avec le principe constitutionnel d’égalité. Ce à quoi Conseil constitutionnel a répondu que le législateur peut, à bon droit, fonder des régimes différents pour des situations différentes.

Ainsi, le Conseil constitutionnel mettait ici en avant le fait que l’article. 3141-5 du Code du travail était conforme à la Constitution. Néanmoins, malgré cette constitutionnalité du droit interne, celui-ci restait soumis aux normes européennes.

II-      L’insécurité juridique

Les décisions de la Cour de cassation, selon lesquelles les salariés pouvaient continuer d’acquérir des droits à congé payés durant leur arrêt maladie quel que soit leur nature, restent donc toujours en vigueur. (cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-17340) (cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-17638).

Ainsi, cette jurisprudence était créatrice d’une insécurité juridique pour les employeurs car elle pouvait être invoquée par les salariés et les anciens salariés, pour des arrêts antérieurs au 13 septembre 2023, en raison de sa rétroactivité. Un autre arrêt du même jour admettait même une rétroactivité au-delà de la prescription des salaires de l’article L3245-1 du Code du travail. (cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-11106). Aussi l’impact financier pouvait être très important.

III-    La nécessité d’une intervention du législateur. L’avis du Conseil d’Etat

Cette situation d’insécurité juridique témoignait donc d’une nécessité de réforme du droit français afin de le mettre en conformité avec le droit européen. La décision du conseil constitutionnel n’y changeant rien.

C’est dans ce contexte, que le premier ministre a saisi le Conseil d’Etat pour un avis, portant sur la mise en conformité des dispositions du code du travail en matière d’acquisition de congés pendant les périodes d’arrêt maladie.

Le Conseil est d’avis qu’il n’existe pas d’obstacle constitutionnel ou conventionnel à la possibilité de limiter à quatre semaines les congés acquis au cours d’un congé pour une maladie non-professionnelle. Et il est d’avis d’appliquer cette limite de quatre semaines de congé annuel aux situations passées.

Ensuite, le Conseil rappelle que les dispositions de l’article L. 3245 1 du code du travail, qui s’appliquent aux actions en paiement d’indemnité compensatrice de congés payés, disposent que celles-ci se prescrivent par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. L’action en paiement peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Enfin, il estime possible de prévoir que l’action du salarié qui est encore dans l’entreprise, et qui demande le droit de prendre des congés au titre des périodes d’absence pour arrêt maladie, antérieures à l’introduction de la loi de transposition, soit soumise à un délai de forclusion de deux années à compter de l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions législatives, applicable même en l’absence de démarche d’information de l’employeur.

Il ne reste alors qu’attendre le projet de réforme du gouvernement, mais nous avons par cet avis bien fourni une orientation sur les intentions du législateur… à suivre ! 

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